Son Premier Coup de Filet - 2/5
Jun. 14th, 2006 04:06 pm![[personal profile]](https://www.dreamwidth.org/img/silk/identity/user.png)
Les personnages et l’univers de la présente pièce sont empruntés à George Chaulet de manière privée et non lucrative.
Tous publics.
La première partie est trouvable ici: Un Matin pluvieux
Chapitre deux: Une étrange rencontre
« La première fois que j’enfilai un masque, disait la jeune aventurière, je n’avais que six ou sept ans; je me rendais au carnaval et je tenais à faire bonne figure. Ce n’était pas n’importe quel carnaval, vous comprenez, mais le grand carnaval de Framboisy, celui où le maire inaugura la Grand Place. Dans une aussi petite ville, pareil événement ne passe guère inaperçu, et si cela arrive un jour de fête (1), toute la ville se met de la partie. Je m’étais donc mise sur mon trente-et-un, sans tenir compte du fait que nous n’étions qu’en février et qu’un vingt-huit eût donc représenté une tenue tout à fait acceptable, et je rejoignis le reste de mes concitoyens.
« Vous connaissez la Grand Place aussi bien que moi, je suppose, et savez donc que l’esplanade se trouve juste devant les Galeries Farfouillettes. En l’occurrence, l’assemblée faisait face au maire, qui lui-même se tenait devant les Galeries, si bien que nous tournions le dos au bâtiment, sauf bien entendu notre édile (2). Tous, sauf une gamine, qui trouvait sans doute le discours officiel un peu trop rébarbatif…
« Son regard fut attiré par une mince silhouette qui se déplaçait sur le toit même du bâtiment. Elle emprunta donc les jumelles de poche de sa voisine, un grand échalas déguisé en pirate, et y regarda de plus près.
« Il s’agissait d’un homme – un homme grand, mince, enroulé dans une longue cape noire. On discernait même quelques reflets de soleil contre la boucle argentée de ce qui ne pouvait être que ses bottes.
« Rocamadour, le Prince des Cambrioleurs ? » ne put s’empêcher d’interrompre le journaliste, interloqué.
« Lui-même en personne ! reprit la narratrice, pas offensée le moins du monde par l’intervention de son scribouillard favori. Imaginez l’effet qu’il eut sur son imagination d’enfant… Il était grand, il était intimidant, il était beau… et il portait un masque. »
« Un loup de velours noir ? » demanda Œil de Lynx, qui n’en était désormais plus à sa première intervention.
« Cela même ! répliqua-t-elle sans se démonter.
« Je décidai alors – car, vous l’avez deviné, c’est de moi qu’il s’agit ici – de m’approcher. Je m’éclipsai de la fête, contournai le bâtiment, escaladai la gouttière… et arrivai sur un toit immense, glissant… et vide. »
« J’attendis toutefois quelques instants, les sens aux aguets. Les minutes s’écoulèrent, et j’étais sur le point de faire demi-tour quand il réapparut, comme sorti de nulle part.
« L’ombre que j’avais entrevue depuis la place s’était matérialisée en homme de chair et d’os, comme par magie, dans l’atmosphère quelque peu féérique que nous donnait notre position sur le toit, au-dessus du commun des mortels assemblés devant leur édile. Je le contemplai sans mot dire, fascinée par la silhouette élancée qui se dressait devant moi, par la cape, par le masque… »
Les yeux de la jeune femme brillaient sous le feu du souvenir longtemps enfoui dans les tréfonds de sa mémoire. On aurait qu’une fois le barrage du silence rompu, tout s’écoulait sans qu’elle ait pouvoir de s’arrêter ; elle se sentait pressée d’écouler ses visions d’enfant par sa voix d’adulte. Ma présence ne comptait plus à ses yeux, elle aurait pu continuer sans public, et j’en éprouvai moins de remords à laisser tourner mon magnétophone.
« Je n’ai jamais su ce qui se dissimulait sous le masque, reprit-elle. Par la suite, les journaux m’apprirent qui était cette ombre mystérieuse que j’avais poursuivie en vain, et même ce qu’il était venu faire, là, sur le toit des Galeries Farfouillettes. Mais je n’ai jamais connu son visage. »
« - Mais vous ne l’avez pas poursuivi en vain, puisque vous l’avez rattrapé ! »
« - Hélas, si. J’étais si absorbée par son allure que je n’eus pas la présence d’esprit de continuer à le suivre quand il se détourna et courut vers le bord. Je repris mes esprits trop tard, il était déjà en bas, et trop loin pour que je songe à le prendre en chasse.
« Je retournai donc sagement à ma place, dans l’assemblée de Framboisiens – mais le carnaval de cette année fut tout éclipsé par la vision, imprimée dans mes prunelles, de cet homme immense et agile au masque de velours noir.
« Le lendemain – ou bien fut-ce le soir même, déjà, avec l’édition du soir de la Gazette de Framboisy ? La mémoire me fait défaut – un article en deuxième page m’apprenait la vérité sur ce mystérieux personnage. Il n’était autre que Rocamadour, le célèbre cambrioleur, et, lorsque je le vis sur le toit de notre grand magasin, il venait de subtiliser le contenu du coffre-fort de son propriétaire.
« Le choc fut brutal. La figure que j’avais commencé à idolâtrer, le visage masqué qui hantait mes prunelles, l’homme de mystère qui j’avais suivi presque jusqu’au ciel, n’était donc qu’un simple cambrioleur, un bandit, un être en prise avec la justice et la société…
« Il y eut en moi comme un déclic. Cet homme au nom exotique dont je ne connaissais pas même les traits, je l’admirais, avec toute la passion de mes jeunes années. La révélation du journal ne m’en ferait pas démordre, mon idole était du côté du bien, du bon, et si les apparences indiquaient le contraire, c’est que les apparences se trompaient.
« Mais moi, je saurai me mettre au-dessus des apparences, songeai-je. Je blanchirai son nom, me dis-je tout bas ; je laverai sa réputation avec l’ardeur de la mère Denis revue et corrigée au persil.
« C’est que là que date mon costume, vous savez. Le masque de velours est une imitation du sien ; la cape, une tentative de reproduire sa large silhouette, malgré ma petite taille. Le justaucorps et les collants dataient certes du carnaval, mais après tout, c’est là que je l’avais vu pour la première fois, et rien ne me plaisait davantage que d’arborer à jamais la marque de cette rencontre. »
« - Mais, votre poignard, votre broche… »
« - Non, tout cela vint plus tard, au hasard d’autres aventures. N’oubliez pas que je n’étais encore qu’une enfant, à l’époque ! On ne me laissait pas encore jouer avec des objets pointus…
« Je menai l’enquête. Je retournai au grand magasin, interrogeai employés et vigiles pendant la journée ; de nuit, je repris le chemin qu’il avait emprunté ce jour-là et parvins dans le bureau du directeur.
« Si mes questions ne m’avaient pas menée bien loin – personne n’avait rien vu, et le directeur persistait à déplorer sa perte – l’investigation nocturne se révéla plus fructueuse. Il n’était certes pas difficile de pénétrer dans le bureau directorial en venant du toit, avec un peu d’agilité et autant d’audace ; mais dérober de l’argent était autrement plus difficile. Le coffre-fort, voyez-vous, semblait solide ; plus que cela, il était blindé par de larges bandes de métal.
« J’essayai bien entendu de l’ouvrir ; mais m’aperçus bien vite que ce ne serait pas possible. Le coffre s’ouvrait en effet par un double système – il fallait connaître le code secret, et introduire une clé spéciale dans la serrure. Le code secret, subodorais-je du haut de mes jeunes années, devrait se laisser deviner sans trop de peine, la combinaison ne faisait après tout que six chiffres, rien dont un bon algorithme ne puisse venir à bout rapidement ; mais la clé, voilà un élément qui ne pouvait s’improviser aussi aisément !
« Je repartis pour où j’étais venue, sans bruit.
« Le problème qui s’offrait à moi me semblait relativement simple. On accusait Rocamadour de vol ; or, il était impossible de dérober cet argent, j’en avais moi-même fait l’expérience. Il était donc innocent, devait être innocent, mon sentiment initial ne pouvait être faux ; quelqu’un d’autre était responsable du forfait. Sans doute le directeur lui-même, par volonté de soustraire quelques fonds pour son usage personnel. Ou bien un collaborateur entreprenant, qui aurait trouvé moyen de subtiliser la clé quelques heures durant… Mon idole était toutefois au-dessus de tout soupçon.
« Je me demandai sans plus tarder ce que je devais faire pour le disculper aux yeux du monde. La preuve de son innocence était certes évidente, mais les gens semblaient croire en ce que leur révélait les journaux ; et les journaux, j’en étais convaincue, utilisaient ce bouc émissaire providentiel pour faire détourner de la vérité – le vol probable du directeur. Peut-être ce dernier possédait-il des actions dans la Gazette de Framboisy ? Je l’ignorais.
« Les voies qui me restaient ouvertes n’étaient pas si nombreuses que cela. Je n’étais à l’époque qu’une enfant, ne l’oubliez pas !
« Ce qui me sembla le plus simple fut de me forger une réputation de justicière, une sorte de capital de crédibilité auprès du grand public. Les journaux adoreraient cela, j’en étais sûre – pensez donc, une figure masquée, indéfinissable, plus petite que la moyenne sans doute, mais néanmoins tout à fait capable de faire cesser tout crime dans notre bourgade ! Non, personne ne pourrait laisser passer cela.
« Une fois célèbre, acclamée, reconnue par tous, je n’aurais qu’à rouvrir l’enquête sur les agissements des uns et des autres au cours de la nuit fatidique. Je lèverais le voile d’opprobre qui ternissait l’homme masqué de mes rêves d’enfant, et une fois que j’aurais posé cet accomplissement à ses pieds, alors… peut-être daignerait-il me donner un regard, un signe de son assentiment, de sa considération ?
« L’espoir était vain, et je m’en rendais déjà compte, même à l’époque ; mais je ne voyais d’autre recours, et je pris la décision, une fois pour toutes, de faire mon mieux pour parvenir au but que je m’étais fixé. »
La jeune femme s’interrompit un instant, songeuse.
« Les années passèrent.
« Cette réputation, je finis par l’acquérir. Ce ne fut pas sans anicroches, non – la presse a la fâcheuse tendance de ne jamais mentionner vos exploits les plus hardis, alors qu’elle fait les gorges chaudes d’incidents mineurs que vous n’auriez jamais songé à divulguer. »
Son regard refléta l’espace d’un instant l’étincelle de malice qui lui était coutumière, avant de retrouver sa sobriété.
« J’étais sur le point de passer à l’étape suivante de mon plan, de relancer la question du cambriolage des Galeries Farfouillettes, quand je Le revis. »
à suivre…
(1) Jacques t’a dit, le jour de fête, c’est autant de traffic que de Playtime! – Note inspirée de Ficelle sur son cahier de géographie, le jour d’une sortie au cinéma.
(2) Le débile muni de ses poils sert à mariner les gens qui veulent s’épouiller – Note de Ficelle, avant qu’on ne lui arrache le clavier des mains.
L'épisode suivant est Une Brutale Désillusion
Tous publics.
La première partie est trouvable ici: Un Matin pluvieux
« La première fois que j’enfilai un masque, disait la jeune aventurière, je n’avais que six ou sept ans; je me rendais au carnaval et je tenais à faire bonne figure. Ce n’était pas n’importe quel carnaval, vous comprenez, mais le grand carnaval de Framboisy, celui où le maire inaugura la Grand Place. Dans une aussi petite ville, pareil événement ne passe guère inaperçu, et si cela arrive un jour de fête (1), toute la ville se met de la partie. Je m’étais donc mise sur mon trente-et-un, sans tenir compte du fait que nous n’étions qu’en février et qu’un vingt-huit eût donc représenté une tenue tout à fait acceptable, et je rejoignis le reste de mes concitoyens.
« Vous connaissez la Grand Place aussi bien que moi, je suppose, et savez donc que l’esplanade se trouve juste devant les Galeries Farfouillettes. En l’occurrence, l’assemblée faisait face au maire, qui lui-même se tenait devant les Galeries, si bien que nous tournions le dos au bâtiment, sauf bien entendu notre édile (2). Tous, sauf une gamine, qui trouvait sans doute le discours officiel un peu trop rébarbatif…
« Son regard fut attiré par une mince silhouette qui se déplaçait sur le toit même du bâtiment. Elle emprunta donc les jumelles de poche de sa voisine, un grand échalas déguisé en pirate, et y regarda de plus près.
« Il s’agissait d’un homme – un homme grand, mince, enroulé dans une longue cape noire. On discernait même quelques reflets de soleil contre la boucle argentée de ce qui ne pouvait être que ses bottes.
« Rocamadour, le Prince des Cambrioleurs ? » ne put s’empêcher d’interrompre le journaliste, interloqué.
« Lui-même en personne ! reprit la narratrice, pas offensée le moins du monde par l’intervention de son scribouillard favori. Imaginez l’effet qu’il eut sur son imagination d’enfant… Il était grand, il était intimidant, il était beau… et il portait un masque. »
« Un loup de velours noir ? » demanda Œil de Lynx, qui n’en était désormais plus à sa première intervention.
« Cela même ! répliqua-t-elle sans se démonter.
« Je décidai alors – car, vous l’avez deviné, c’est de moi qu’il s’agit ici – de m’approcher. Je m’éclipsai de la fête, contournai le bâtiment, escaladai la gouttière… et arrivai sur un toit immense, glissant… et vide. »
« J’attendis toutefois quelques instants, les sens aux aguets. Les minutes s’écoulèrent, et j’étais sur le point de faire demi-tour quand il réapparut, comme sorti de nulle part.
« L’ombre que j’avais entrevue depuis la place s’était matérialisée en homme de chair et d’os, comme par magie, dans l’atmosphère quelque peu féérique que nous donnait notre position sur le toit, au-dessus du commun des mortels assemblés devant leur édile. Je le contemplai sans mot dire, fascinée par la silhouette élancée qui se dressait devant moi, par la cape, par le masque… »
Les yeux de la jeune femme brillaient sous le feu du souvenir longtemps enfoui dans les tréfonds de sa mémoire. On aurait qu’une fois le barrage du silence rompu, tout s’écoulait sans qu’elle ait pouvoir de s’arrêter ; elle se sentait pressée d’écouler ses visions d’enfant par sa voix d’adulte. Ma présence ne comptait plus à ses yeux, elle aurait pu continuer sans public, et j’en éprouvai moins de remords à laisser tourner mon magnétophone.
« Je n’ai jamais su ce qui se dissimulait sous le masque, reprit-elle. Par la suite, les journaux m’apprirent qui était cette ombre mystérieuse que j’avais poursuivie en vain, et même ce qu’il était venu faire, là, sur le toit des Galeries Farfouillettes. Mais je n’ai jamais connu son visage. »
« - Mais vous ne l’avez pas poursuivi en vain, puisque vous l’avez rattrapé ! »
« - Hélas, si. J’étais si absorbée par son allure que je n’eus pas la présence d’esprit de continuer à le suivre quand il se détourna et courut vers le bord. Je repris mes esprits trop tard, il était déjà en bas, et trop loin pour que je songe à le prendre en chasse.
« Je retournai donc sagement à ma place, dans l’assemblée de Framboisiens – mais le carnaval de cette année fut tout éclipsé par la vision, imprimée dans mes prunelles, de cet homme immense et agile au masque de velours noir.
« Le lendemain – ou bien fut-ce le soir même, déjà, avec l’édition du soir de la Gazette de Framboisy ? La mémoire me fait défaut – un article en deuxième page m’apprenait la vérité sur ce mystérieux personnage. Il n’était autre que Rocamadour, le célèbre cambrioleur, et, lorsque je le vis sur le toit de notre grand magasin, il venait de subtiliser le contenu du coffre-fort de son propriétaire.
« Le choc fut brutal. La figure que j’avais commencé à idolâtrer, le visage masqué qui hantait mes prunelles, l’homme de mystère qui j’avais suivi presque jusqu’au ciel, n’était donc qu’un simple cambrioleur, un bandit, un être en prise avec la justice et la société…
« Il y eut en moi comme un déclic. Cet homme au nom exotique dont je ne connaissais pas même les traits, je l’admirais, avec toute la passion de mes jeunes années. La révélation du journal ne m’en ferait pas démordre, mon idole était du côté du bien, du bon, et si les apparences indiquaient le contraire, c’est que les apparences se trompaient.
« Mais moi, je saurai me mettre au-dessus des apparences, songeai-je. Je blanchirai son nom, me dis-je tout bas ; je laverai sa réputation avec l’ardeur de la mère Denis revue et corrigée au persil.
« C’est que là que date mon costume, vous savez. Le masque de velours est une imitation du sien ; la cape, une tentative de reproduire sa large silhouette, malgré ma petite taille. Le justaucorps et les collants dataient certes du carnaval, mais après tout, c’est là que je l’avais vu pour la première fois, et rien ne me plaisait davantage que d’arborer à jamais la marque de cette rencontre. »
« - Mais, votre poignard, votre broche… »
« - Non, tout cela vint plus tard, au hasard d’autres aventures. N’oubliez pas que je n’étais encore qu’une enfant, à l’époque ! On ne me laissait pas encore jouer avec des objets pointus…
« Je menai l’enquête. Je retournai au grand magasin, interrogeai employés et vigiles pendant la journée ; de nuit, je repris le chemin qu’il avait emprunté ce jour-là et parvins dans le bureau du directeur.
« Si mes questions ne m’avaient pas menée bien loin – personne n’avait rien vu, et le directeur persistait à déplorer sa perte – l’investigation nocturne se révéla plus fructueuse. Il n’était certes pas difficile de pénétrer dans le bureau directorial en venant du toit, avec un peu d’agilité et autant d’audace ; mais dérober de l’argent était autrement plus difficile. Le coffre-fort, voyez-vous, semblait solide ; plus que cela, il était blindé par de larges bandes de métal.
« J’essayai bien entendu de l’ouvrir ; mais m’aperçus bien vite que ce ne serait pas possible. Le coffre s’ouvrait en effet par un double système – il fallait connaître le code secret, et introduire une clé spéciale dans la serrure. Le code secret, subodorais-je du haut de mes jeunes années, devrait se laisser deviner sans trop de peine, la combinaison ne faisait après tout que six chiffres, rien dont un bon algorithme ne puisse venir à bout rapidement ; mais la clé, voilà un élément qui ne pouvait s’improviser aussi aisément !
« Je repartis pour où j’étais venue, sans bruit.
« Le problème qui s’offrait à moi me semblait relativement simple. On accusait Rocamadour de vol ; or, il était impossible de dérober cet argent, j’en avais moi-même fait l’expérience. Il était donc innocent, devait être innocent, mon sentiment initial ne pouvait être faux ; quelqu’un d’autre était responsable du forfait. Sans doute le directeur lui-même, par volonté de soustraire quelques fonds pour son usage personnel. Ou bien un collaborateur entreprenant, qui aurait trouvé moyen de subtiliser la clé quelques heures durant… Mon idole était toutefois au-dessus de tout soupçon.
« Je me demandai sans plus tarder ce que je devais faire pour le disculper aux yeux du monde. La preuve de son innocence était certes évidente, mais les gens semblaient croire en ce que leur révélait les journaux ; et les journaux, j’en étais convaincue, utilisaient ce bouc émissaire providentiel pour faire détourner de la vérité – le vol probable du directeur. Peut-être ce dernier possédait-il des actions dans la Gazette de Framboisy ? Je l’ignorais.
« Les voies qui me restaient ouvertes n’étaient pas si nombreuses que cela. Je n’étais à l’époque qu’une enfant, ne l’oubliez pas !
« Ce qui me sembla le plus simple fut de me forger une réputation de justicière, une sorte de capital de crédibilité auprès du grand public. Les journaux adoreraient cela, j’en étais sûre – pensez donc, une figure masquée, indéfinissable, plus petite que la moyenne sans doute, mais néanmoins tout à fait capable de faire cesser tout crime dans notre bourgade ! Non, personne ne pourrait laisser passer cela.
« Une fois célèbre, acclamée, reconnue par tous, je n’aurais qu’à rouvrir l’enquête sur les agissements des uns et des autres au cours de la nuit fatidique. Je lèverais le voile d’opprobre qui ternissait l’homme masqué de mes rêves d’enfant, et une fois que j’aurais posé cet accomplissement à ses pieds, alors… peut-être daignerait-il me donner un regard, un signe de son assentiment, de sa considération ?
« L’espoir était vain, et je m’en rendais déjà compte, même à l’époque ; mais je ne voyais d’autre recours, et je pris la décision, une fois pour toutes, de faire mon mieux pour parvenir au but que je m’étais fixé. »
La jeune femme s’interrompit un instant, songeuse.
« Les années passèrent.
« Cette réputation, je finis par l’acquérir. Ce ne fut pas sans anicroches, non – la presse a la fâcheuse tendance de ne jamais mentionner vos exploits les plus hardis, alors qu’elle fait les gorges chaudes d’incidents mineurs que vous n’auriez jamais songé à divulguer. »
Son regard refléta l’espace d’un instant l’étincelle de malice qui lui était coutumière, avant de retrouver sa sobriété.
« J’étais sur le point de passer à l’étape suivante de mon plan, de relancer la question du cambriolage des Galeries Farfouillettes, quand je Le revis. »
à suivre…
(1) Jacques t’a dit, le jour de fête, c’est autant de traffic que de Playtime! – Note inspirée de Ficelle sur son cahier de géographie, le jour d’une sortie au cinéma.
(2) Le débile muni de ses poils sert à mariner les gens qui veulent s’épouiller – Note de Ficelle, avant qu’on ne lui arrache le clavier des mains.
L'épisode suivant est Une Brutale Désillusion
no subject
Date: 2006-06-14 03:36 pm (UTC)Que du bon vieux temps!
Désolée de ne pas avoir commenté le premier chapitre mais je n'avais pas eu le temps de bien en profiter...
Quel bonheur de retrouver le charme un désuet de cette chère Fantomette. Le ton est excellent et je trouve cette histoire très chouette!
A suivre, donc :o)
no subject
Date: 2006-06-14 04:05 pm (UTC)